Ce n'est pas une apologie ou un texte à connotation religieuse, je continue uniquement la réflexion initiée par les propos de mon professeur de L1 : "Pour comprendre l'Homme, comprenez pourquoi Eve a défié son propre Dieu." ; ainsi, tout est supposé lorsque des passages religieux / concepts théologiques seront abordés. La notion de libre arbitre ne sera pas non plus explicitée, que les spinozistes passent leur chemin.
Dans les trois religions Abrahamiques, l'anthropogenèse se résume en la création d'un mâle, par l'insufflation d'une essence divine dans une substance tellurique (de la poussière dans le judaïsme et le christianisme, de l'argile en islam. D'Adam naît la première femme, Eve, provenant de l'une des côtes de ce dernier.
Le récit d'Adam et Eve est assez connu du grand public, mais il persiste des incompréhensions au sujet de ce couple. Après avoir créé le jardin d'Eden, la divinité leur interdit de consommer le fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, (ce nom étant essentiel à retenir afin de pouvoir continuer cette réflexion), mais Eve, sous l'influence de "l'esprit maléfique", le consomme et le fait partager à Adam.
Après avoir croqué le fruit défendu (qui n'est d'ailleurs pas spécifié, décrit comme une pomme dans les traditions occidentales, mais aussi comme une grenade dans les anciennes traditions du Levant, fruit symbole de richesse), le couple se rend compte de leur nudité, se couvrent et se cachent de leur créateur.
Là où les récits théologiques diffèrent se trouve dans la punition divine : dans le judaïsme et le christianisme, Eve est condamnée à l'accouchement douloureux et à la soumission de l'homme, tandis que Adam est condamné au labeur d'une terre infertile. En Islam, il n'y a pas de punition particulière, si ce n'est l'exclusion du jardin.
Note parallèle : il est évident de la consommation du fruit défendu est une allégorie du choix. Néanmoins, certains auteurs décrivent la consommation du fruit comme une métaphore de l'acte sexuel, ou encore dans certains écrits féministes, comme une rébellion d'Eve contre le patriacat imposé à la genèse de l'Humanité, à cause du rapport de soumission entre l'homme et la femme, résidant dans la création de la femme via l'Homme. Bien que ces analyses soient intéresantes, on se contentera d'expliquer l'allégorie couramment racontée.
La question primordiale réside dans la nature de l'interdiction de la consommation de ce fruit. Pourquoi un fruit permettant la connaissance serait-il proscrit, à tel point que seul l'incarnation du diable dans les trois religions respectives se permettrait d'inciter à sa consommation ?
La première réponse réside dans le projet d'innocence : en ignorant les lois morales distinguant le bien du mal, l'Homme ne peut pas être tenu responsable, à l'image des animaux décorant leur environnement. Néanmoins, cette interprétation largement admise par les membres des trois clergés peut être faillible, car contrairement aux autres animaux, un esprit divin aurait été insufflé dans l'Homme, le permettant d'être l'intendant du monde. Ainsi, la sélectivité divine concernant les facultés transmises à l'Homme est une réponse valable à ce contre-argument, néanmoins, il implique alors une volonté explicite de la part de leur créateur de ne pas disposer de facultés morales.
Cette lacune impliquerait une soumission totale envers une entité divine, dictant la loi, mais aussi d'une certaine liberté. En effet, cette liberté n'est pas celle entendue en notre ère, c'est à dire une liberté de l'esprit, mais plutôt une liberté du corps, considéré encore comme pur (nous y reviendrons plus tard), sans la menace de la douleur pour la femme, ou de la fatigue pour l'homme. Ce monde hédoniste serait ainsi la récompense de l'ignorance.
La conception d'un esprit pur dans un corps aux mêmes caractéristiques aurait été la promesse faite à l'humanité; cette conception rejoint l'idée du péché originel condamnant les Hommes, ayant ainsi une âme qui serait impure et un corps porté en détestation, car sujet aux passions et déviances. Cette vision est reprise par le christianisme et le judaïsme, mais le corps impur et corrompu et une idée remontant aux premiers philosophes de la Grèce antique, dont Socrate dans sa célèbre phrase "Le corps est le tombeau de l'âme".
Le supposé créateur aurait-il ainsi eu comme projet de "préserver" l'Homme ? Il est d'ailleurs légitime de se demander de quel danger nécessitait la protection divine. En interdisant la connaissance du bien et du mal, on peut deviner la nécessité de se protéger du fardeau qu'est le choix et le "libre arbitre", processus réglant l'existance humaine, et possiblement de préserver la supposée tranquilité qu'apportait le jardin, comme une pouponnière. Ce désir qu'il fallait absolument défendre originerait donc de la nature divine, puisque cette interdiction a été expressément injonctivée envers la race humaine, et non les autres espèces vivantes.
Cet avertissement serait-elle une mise en garde contre la propre nature divine du divin ? Une entité céleste, sachant qu'elle aurait donné une partie de ses facultés à une espèce réduite à cause de son existance matérielle, se serait rendue compte du désir inhérent de curiosité et de connaissance. Ainsi, l'arbre de la connaissance du bien et du mal, bien qu'il aurait été l'évènement déclencheur de l'apprentissage des lois morales, n'était qu'une finalité, et pas le moyen permettant la descente sur Terre des Hommes.
Cette conclusion était donc une nuance offerte à l'argument résidant au début de cette partie : l'innocence présumée ne cachait qu'une envie dormante de connaissance, la consommation du fruit étant en réalité qu'un catalyseur.
Mais alors, si Dieu était si bon, pourquoi avoir placé cet arbre ? Les explications religieuses se résument en une volonté de libre arbitre de l'Homme, ou encore un test de soumission. Toutefois, ces explications qui peuvent être assez simplistes peuvent être remplacées par ce qui avait été présenté auparavant : en insufflant une nature divine, il aurait été naturel de voir l'Homme se questionner sur les possibilités de son existance et de l'implication morale de ses choix. Ainsi, le créateur aurait placé cet arbre, consciencieux de ce que l'humanité aurait disposé du fruit. Le "test de soumission" était, en avance, voué à l'échec.
Le serpent, ou tout simplement le diable dans la croyance islamique, aurait poussé l'Homme à connaître. Ce court passage nous permet d'élucider la conception sociale et théologique de ce dernier, dans les croyances monothéistes et antiques. La connotation négative de cet esprit origine bien de ce passage de l'anthropogenèse religieuse, ayant condamné l'humanité à l'intendance du monde tellurique, mais le réel caractère de cette répugnation pour le démon origine, comme dit-ci dessus, de l'éveil de cette faculté balbutiante de la connaissance, encore dormante, chez l'Homme. Ainsi, le diable est rendu coupable pour avoir éveillé l'Homme, le condamnant à la connaissance. N'oublions pas que l'étymologie de Lucifer vient du latin "lux", lumière. Le concept d'entité étrangère au créateur qui tourmente les Hommes par son offre est aussi présente dans la théologie grecque, avec le fameux récit Prométhéen, un titan qui dérobe le feu céleste pour l'offrir aux Hommes, symbole de connaissance. Il est ainsi condamné à sa propre décadence corporelle par des faucons, symbole du tourment de l'Homme une fois avoir reçu la connaissance.
Bien qu'il soit absurde de directement corroborer le mal, au sens moral, à l'existence humaine, l'interaction de l'allégorie de l'Homme avec celle du mauvais annonce la perte d'innocence du genre, prenant connaissance de la gravité des actions morales. La connaissance éblouit, et laisse miroiter le mal en conséquence.
Certains maudissent Eve pour nous avoir privés d'un théorique espace de plénitude et d'absence de malheur. En étant tentée, elle refuse cette béatitude infantile et amène le genre humain vers une conscience individuelle, en rupture avec l'harmonie céleste, au prix d'une douleur morale et physique éternelle. En rompant avec son serment, elle décide de réellement connaître la valeur morale, et donc les choix inhérents à ces notions. Connaissait-elle réellement le bonheur, où n'était-elle seulement pas frappée par le sceau de la maladie, de la solitude et de la douleur lorsqu'elle fut logée dans le jardin d'Eden ? Elle subira la persécution, le labeur parfois au prix de sa vie, dans le seul but de réveiller sa nature intérieure, masquée dans ce faux semblant de quiétude paradisiaque. L'expérience humaine, du berceau jusqu'au tombeau, sera inévitablement tragique, teintée d'un regret, avec l'amère nostalgie d'un endroit physique (mais surtout psychologique) où régnait la paix, qu'elle a échangé pour finalement connaître la valeur de cette dernière. De plus, ce choix a entrainé pour Eve une détestation de l'humanité envers elle-même : les Hommes se soumettent à un jugement réciproque envers chacun des membres de la communauté, crainte de l'autreparfaitement expliquée par la nécessité, une fois tombés du paradis, de se couvrir afin de ne pas souffrir de la perception d'autrui concernant sa propre personne. Cette chute est, peut-être, encore plus douloureuse dans son individualisme.